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Balades à Paris et en Touraine

« Peindre les lointains », vraiment ?

26 Décembre 2018, 12:33pm

Publié par Jean-Charles Prévost

« Peindre les lointains », vraiment ?

L’exposition du Quai Branly

« Peindre les lointains »  présente jusqu'au 3 février des tableaux des années 1850 à 1930 issus des collections de l’ancien musée des Colonies à la porte Dorée. Ce bâtiment, le seul conservé de l’Exposition Coloniale de 1931, abrite aujourd’hui le musée de l’Immigration dans des salles magnifiquement décorées à la gloire de l’oeuvre colonisatrice de la France. L’exposition du Quai Branly a le mérite d’exhumer des œuvres longtemps méconnues, en partie restaurées pour la circonstance ; elle a le tort, notamment dans la dernière salle et la vidéo de la conservatrice, de revisiter une fois de plus les poncifs de « l’Exposition Anti Coloniale » en voulant montrer combien nos parents étaient d’horribles exploiteurs alors qu’éclairés par la repentance, nous devons battre notre coulpe !

Mais restons zen et plutôt qu’à son message, intéressons nous aux mérites propres de cette peinture !

 

La peinture orientaliste:

Les occidentaux ont toujours été attirés par l’exotisme, cela ne date pas d’hier ; déjà Homère régalait ses contemporains de récits de voyages extraordinaires dans des régions peuplées d’habitants aux coutumes bizarres. Rien d’étonnant donc à ce que dès les années 1820 les conquêtes coloniales aient attiré de nombreux artistes, peintres, sculpteurs, avides d’une lumière si particulière et si différente de celle des pays du Nord ou même de l’Italie qui représentait jusque là le must absolu des voyageurs en quête d’exotisme.

Cette rencontre aussi de paysages arides, de peuples fiers de leur traditions guerrières exaltées dans leurs tenues, leurs armes, leurs montures, le tout dans le scintillement d’une lumière crue ou la noirceur de l’ombre a produit des œuvres spectaculaires. Elles furent immédiatement affublées de l’épithète « orientaliste », sorte de fourre tout où on trouve aussi bien de la peinture d’histoire (les scènes de fantasia immortalisées par Lazergue ou Frère et exposées à Orsay), des scènes de genre, des portraits, des paysages.

 

L’école d’Alger et la villa Abd el Tif:

Au début du XXème siècle, l’Etat a voulu encourager ces rencontres et après avoir construit des écoles des Beaux Arts à Paris et en province, les a disséminées dans nos colonies, notamment en Algérie. L’Etat a aussi institué le prix Abd el Tif (du nom de la villa ottomane du jardin d’Essai à Alger) qui désignait chaque année deux artistes lauréats de métropole pour y être hébergés afin d’y pratiquer leur art (cf infra le Jardin d’Essais de JD Bascoulès lauréat 1922), à l’imitation des prix de Rome ou Velasquez pour l’Espagne. De 1907 à 1960, ils seront plus d’une centaine de peintres, graveurs, sculpteurs à être ainsi récompensés, s’ajoutant à ceux formés localement dans les écoles des Beaux Arts, ainsi qu’aux artistes parmi les plus célèbres venus de métropole pour des séjours plus ou moins longs en Algérie  : Monet, Matisse qui y fera de fréquents séjours ainsi qu’au Maroc, Marquet qui s’y établira, etc.

 

 

Les peintres qui m’intéressent :

Après avoir rapporté des tableaux de chacun de nos séjours lointains : Tanzanie où nous avons acheté plusieurs aquarelles à un ami Danois, peintre et architecte , Syrie, Indonésie, cela fait à peu prés une dizaine d'années que je me suis intéressé à cette peinture en fréquentant les salle des ventes où j'ai acheté des œuvres de Jean-Désiré Bascoulès, Pierre Pruvost et Monique Cras puis Jean et Etienne Bouchaud.

Les frères Bouchaud sont issus d’une famille béké originaire de Saint Domingue établie à Nantes. Julie Bouchaud des Hérettes - épouse Charles - fut l’Elvire de Lamartine et le grand-père Léon Bouchaud était  un bon peintre, l’ami de Corot et d’Harpignies. Des quatre frères Bouchaud, tous peignaient, mais je vais surtout vous parler des deux derniers : Jean est le plus connu, de nombreux articles lui sont consacrés dans les revues de l’époque et il collabore régulièrement à la revue l’Illustration. Sa peinture, ce sont aussi bien des aquarelles peintes au cours de ses voyages en Afrique du Nord et en Indochine (cf. infra « sur les remparts de Fez ») et des compositions beaucoup plus imposantes à l’occasion de commandes publiques pour décorer paquebots (Il portait le titre envié de peintre de la Marine) et bâtiments officiels, sur des thèmes évidemment marqués par l’époque. Il était père de sept enfants dont trois, toujours vivants que je m’efforce de contacter pour compléter mes recherches ; il semble qu’Etienne soit resté célibataire ; il a beaucoup voyagé entre sa région d’origine, Marseille et l’Algérie.

 

Quelques uns de mes tableaux :

La cote de Jean reste assez élevée, j’ai craqué pour une petite aquarelle que j’aime beaucoup « Femmes regardant les remparts de Fez » mais ses grands tableaux sont hors de portée. Celle d’Etienne est plus raisonnable, de sorte que je me suis surtout intéressé à ce dernier et les articles le concernant, quoique bien moins nombreux, louent sa manière discrète et sa sensibilité. Les deux autres frères Bouchaud sont beaucoup moins connus : Pierre, abbé a décoré les églises de Saint Brévin les Pins et du Loroux-Bottereau (Etienne a aussi peint des fresques dans les églises de Pontchateau et Savenay) et Michel était surtout illustrateur.

En regardant les oeuvres d'Etienne Bouchaud comme « La petite Plage » ou « la rue à Tipaza » on ressent l'atmosphère de la fin de la journée, lorsque la fournaise de midi laisse la place à la douceur du couchant dans la lumière dorée de la côte méditerranéenne avec des compositions bien différentes. Voici une brève description de quelques unes de ses oeuvres :

La petite Plage privilégie les tons pastels avec un léger relief et dans sa partie basse une composition circulaire de personnages à peine esquissés qui conversent paisiblement et que vient fermer l’orthogonalité de la jetée. Le catalogue de 2014 mentionne une huile sur toile non datée, située à Marseille mais j’ai trouvé sur le catalogue d'une vente de 2009 un pastel du même motif d'une taille plus modeste (20x29,5 contre 65 x 99,5 cm), situé à Alger et daté de 1947 . La composition en est légèrement différente avec notamment l’ajout d’un mât en oblique qui vient rompre l’orthogonalité de la jetée. Je suppose que mon tableau est la version d’atelier du pastel dessiné sur le motif. Alors que croire, Marseille ou Alger ?, 47 ?  J’espère que les héritiers dissiperont le doute.

La rue à Tipaza adopte un point de vue au ras du sol, très « grand angle » avec une succession de plans : la plage, la mer, le cap où l’or de la plage contraste avec les bleus du ciel et de la Méditerranée. La brise marine fait pencher les filaos et les ruines permettent de situer du premier coup d’oeil ce lieu apprécié des Algérois. Comme souvent les personnages sont à peine discernables et décentrés, typiques de sa manière : il s’attache dans ses paysages à restituer dans ambiances, il se montre peu intéressé par les détails.

Un village du Sud algérien fait régner la même ambiance lumineuse mais une composition différente avec un point de vue plus haut. Le mur de soutènement, la maison, les chemins et le fortin à l’arrière plan créent des obliques contrastant avec le cube blanc du mur au premier plan et la grâce des palmiers et des eucalyptus. Les personnages au centre de la composition sont à peine esquissés, ils suffisent cependant à nous faire entrer dans le tableau.

Le ravin est très original tant à cause de la composition très « japonarde » avec là aussi un point de vue très bas et un ciel réduit à une étroite bande bleue, une succession de plans avec un personnage pour donner l’échelle qui jouent entre l’ombre et la lumière dans des tons pourpres verts et bleus que je trouve sublimes.

Enfin Le port d’Alger pavoisé témoigne de moins d’originalité dans la composition avec une perspective géométrique un peu raide, mais j’aime les bleus du ciel et de la mer et l’ambiance qui n’est pas sans rappeler les impressionnistes et Marquet.

Etienne Bouchaud a toujours évité de tomber dans un exotisme racoleur : turqueries, scènes trop colorées, houris lascives des maisons closes ne sont pas sa tasse de thé, à l’inverse de beaucoup de ses contemporains. Dans sa « peinture des lointains » il met à notre portée avec sa palette douce et claire et sous son regard calme et bienveillant les ambiances, les lumières vibrantes d’un paysage, le silence, . Il a aussi peint des portraits et des scènes de genre d’une grande sensibilité qui me tentent beaucoup. A partir des années 50 il s’est surtout intéressé à la gravure.


 

Au delà du plaisir que j'ai à contempler ses tableaux, j’aimerais en savoir plus sur les circonstances de leur réalisation : à quelle époque furent-ils peints, en plein air ou en atelier ? ; s'agissait il de commandes, furent ils exposés en galeries, en salons ?, qui les a achetés ?

Si vous êtes intéressés par cette peinture, outre l'exposition du quai Branly je vous recommande à Boulogne la visite de la très belle collection du musée des années 30  (et des sculptures du musée Landowski logé au même endroit).

 

Femmes arabes contemplant les remparts de Fès, La petite Plage La rue à Tipaza,  un village du Sud algérien, Le ravin, Alger, le port d’Alger pavoisé
Femmes arabes contemplant les remparts de Fès, La petite Plage La rue à Tipaza,  un village du Sud algérien, Le ravin, Alger, le port d’Alger pavoisé
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Femmes arabes contemplant les remparts de Fès, La petite Plage La rue à Tipaza, un village du Sud algérien, Le ravin, Alger, le port d’Alger pavoisé

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