« Et maintenant Capitaine, me direz vous enfin où nos allons ? - A Saint Nazaire ! »

Prenons la route avec Tintin, Milou et le capitaine Haddock dans les « 7 Boules de Cristal » lancés aux trousses « des ravisseurs du professeur Tournesol dont la voiture a été vue par un garagiste des environs » dans leur Lincoln décapotable jaune modèle 1940 ! Mais je vous invite aussi à partir en vacances avec Monsieur Hulot alias Jacques Tati sur la jolie plage nazairienne de Saint Marc sur Mer.

Le port de Saint Nazaire a été créé sous Napoléon III par les frères Pereire comme avant-port de Nantes, devenu inaccessible aux navires de fort tonnage, et tête de leurs lignes maritimes vers l’Amérique Centrale : Cuba, le Mexique, Panama. En même temps ils y ouvrent les chantiers navals pour construire et réparer leurs paquebots jusqu’aux derniers, Normandie et France. Les chantiers construiront aussi des navires militaires : le croiseur Jean Bart qui, en cours de finition en juin 40, réussira à prendre la mer in extremis vers Casablanca devant l’avance allemande. Aujourd’hui les chantiers navals construisent les plus gros navires de croisière au monde et les BPC type Mistral pour la Marine.

L’aventure des paquebots à Saint Nazaire se termine avec la crise des années 30 et lorsque les allemands détruisent la gare transatlantique pour construire de 40 à 42 une base fortifiée pour leur sous marins déployés dans l’Atlantique, attirant  les bombardements alliés qui la détruiront la ville à plus de 80 %.

Aussi dans son album paru entre 44 et 48, Hergé nous mène-t-il en bateau suivant un procédé de « réalisme intemporel » habituel chez lui : Tintin et ses amis arrivent à Saint Nazaire le long des quais d’avant guerre pour embarquer pour Callao sur le cargo « Karaboudjan » ; à la fin des années 40 ils auraient longé la base sous marine se frayant un chemin parmi les gravats … Pas rancuniers pour cet anachronisme, les Nazairiens ont reproduit les vignettes de l’album sur de grandes affiches aux endroits concernés de la ville et du port.

Voici une plaquette intitulée "Dans les pas de Tintin à Saint Nazaire "https://www.saint-nazaire-tourisme.com/app/uploads/saintnazaire/2019/06/dans-les-pas-page-page-fr.pdf

La base sous marine a longtemps marqué un mauvais souvenir, d’ailleurs la reconstruction du centre ville en 1950 fut décidée le long d’un axe nouveau : l’avenue de la République, parallèle au port et lui tournant le dos, a 500 m à l’ouest de la rue Henri Gautier qu'emprunte Tintin en arrivant à Saint Nazaire et qui concentrait avant guerre le long du port les principales circulations : la route et la voie ferrée vers Nantes, l’accès aux chantiers navals et à la gare transatlantique. L’axe majeur du centre ville avant guerre était la rue de la Paix traversant la place d’Armes pour aboutir au port et à la gare transatlantique et perpendiculaire à l’avenue de la République.

La gare, autrefois un cul de sac desservant les embarcadères du quai de Loire, fut déplacée au nord du centre ville facilitant ainsi le transit ferroviaire vers la Baule et le Croisic ; les bâtiments de l’ancienne gare toujours debout ont été réutilisés récemment pour loger le théâtre. Pour qui veut s’en donner la peine, la ville reconstruite n’est pas dénuée d’intérêt et permet de comprendre le challenge des bâtisseurs. Moins ambitieuse que le Havre, Brest ou Royan, elle laisse une large place au style régionaliste avec ses larges toits d’ardoises ; pas ici du règne sans partage des toits terrasses et des murs rideaux à la Corbu comme au Havre, par exemple, mais des références discrètes à la modernité et surtout des parements soulignant l’horizontalité des façades le long des avenues ou la verticalité aux carrefours, référence à l’architecture classique que Noël Le Maresquier, grand prix de Rome et maître d’oeuvre de cette reconstruction connaissait parfaitement.

Pour en savoir plus sur la reconstruction, un article de Daniel Sicard, l'historien local  https://www.shabretagne.com/scripts/files/56c2476dc10c29.83716365/2009_14.pdf

Et un article du même dans l'express  https://www.lexpress.fr/region/daniel-sicard-les-nazairiens-n-ont-pas-de-nostalgie_473645.html

Le Général de Gaulle lors de sa visite du champ de ruines qu’était Saint Nazaire le 23 Juillet 1945 écrivait sur le livre d’or de la ville : « A Saint Nazaire qui est un exemple et qui est un espoir ! ». L’inauguration de l’hôtel de ville le 28 février 1960, anniversaire du plus grand bombardement marque l’achèvement officiel de la reconstruction – même si les chantiers continueront encore pendant plusieurs années. Le Général de retour à Saint Nazaire pour le lancement du paquebot France le 11 Mai 1960 prononce une allocution particulièrement inspirée sur la puissance industrielle française, fer de lance de la puissance française tout court : "Ce chantier que j'avais vu il y a quinze ans bouleversé de fond en comble [...], le voici très vivant et je le crois bien triomphant. [...] L'apparition de ce navire magnifique sur l'océan fait voir à tous ce que vaut et ce dont sont capables les phalanges de dirigeants, d'ingénieurs, de techniciens, d'ouvriers qui animent notre industrie de la construction navale. [...] Dans ce vaisseau, nous saluons l'une des grandes réussites que la technique française présentement offre en hommage à la patrie."

Vous pouvez visionner ici l'allocution https://fresques.ina.fr/ouest-en-memoire/fiche-media/Region00015/lancement-du-paquebot-france-a-saint-nazaire.html

La base sous marine barrant la vue sur le fleuve est longtemps restée à l’abandon comme un mauvais souvenir d’une occupation qui s’est terminée le 11 Mai 1945, faisant de Saint Nazaire la dernière ville libérée d’Europe ; une zone laissée vide pour accueillir une extension des installations du port et des industries qui ne s’est jamais faite au bénéfice de Montoire en amont la séparait du centre ville.

Cette zone a récemment été réurbanisée ; la base réhabilitée et réunifiée au centre ville héberge des activités culturelles comme l’Escale Atlantique où des images de synthèse évoquent les lignes du même nom…

Le toit de la base rendu accessible permet d’observer depuis ses 70 m de haut les chantiers navals où les très grands navires de croisière dominent au loin l’ensemble de la ville et le trafic du port qui ici comme ailleurs, n’est pas ouvert au public. Premier de la façade atlantique celui-ci exporte et importe céréales et oléagineux dans ses silos et reçoit les importations de pétrole pour la raffinerie de Donges et de gaz pour le terminal de regazéification de Montoire.

La terrasse qui surmonte l’écluse fortifiée de l’autre côté du bassin offre un point de vue bien particulier sur une œuvre graphique géante (on n’ose parler de peinture !) : « la Suite de triangles, Saint Nazaire 2007 » de Felice Varini. L’artiste éparpille sur les bâtiments du port à plusieurs kilomètres de distance ses formes géométriques rouges de façon apparemment aléatoire ; celles-ci pourtant s’alignent en un ensemble cohérent à partir du point de vue de la terrasse. C’est spectaculaire !

En s’éloignant vers l’ouest par le sentier, la côte, plutôt plate et sablonneuse aux abords du port, devient rocheuse et s’élève en grimpant et descendant de nombreux escaliers laissant découvrir des villas bien cachées et de petites criques où sont implantés les carrelets, cabines sur pilotis prés du rivage abritant la flèche et le treuil qui permettent d’abaisser et de remonter un grand filet carré, avant d’arriver à Saint Marc sur Mer. La petite plage et son hôtel sont restés les mêmes depuis 1951, mais de nombreuses constructions se sont ajoutées dans cette petite station familiale devenue banlieue chic de Saint Nazaire, remplaçant les décors éphémères du film que des panneaux explicatifs rappellent sur les lieux du tournage.

Vous pouvez visionner ici 8' du film "Les Vacances de Monsieur Hulot" https://www.youtube.com/watch?v=LwiIYoJx5Es

Plan de Saint Nazaire avant guerre le port aujourd'hui; la base sous marine; la reconstruction; les chantiers navals; sur le sentier côtier, la plage de Monsieur Hulot

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